Pour les morts fais-tu
des merveilles ?
Homélie
pour les Obsèques d'Antoine LAGARDE - 9
décembre 2002
Parmi les groupes et groupuscules constitutifs de la société
juive à l'époque de Jésus, il y avait les Sadducéens.
Composé de membres des riches familles sacerdotales attachées
au Temple de Jérusalem, ce groupe, puissant en nombre comme en influence,
comprenait un certain nombre d'hommes instruits, je veux dire connaissant la
Bible, et sachant lire et écrire. Ils étaient, cela va sans dire,
attachés à la Tradition, et croyaient entre autres, que chacun,
après sa mort, descendait au Shéol, c'est-à-dire au séjour
des morts, d'où l'on ne revenait pas : Je t'appelle, Yahvé,
tout le jour, je tends les mains vers toi: "Pour les morts fais-tu des
merveilles, les ombres se lèvent-elles pour te louer ? Parle-t-on de
ton amour dans la tombe, de ta vérité au lieu de perdition ?"
(Psaume 88, 10-12). Il n'était donc pas question pour eux d'adhérer
à la foi en un "relèvement d'entre les morts", croyance
relativement nouvelle, puisqu'elle ne remontait qu'à un ou deux siècles.
D'autant que les Pharisiens, qui, eux y croyaient, et les braves gens qui les
suivaient, imaginaient ce "relèvement d'entre les morts" comme
une réintégration de la personne morte dans son corps et avec
son apparence, pour continuer une existence que la mort avait simplement interrompue.
Lorsque les auteurs du Nouveau Testament parlent de ce qui est arrivé
à Jésus de Nazareth après sa mort, ils utilisent soit le
verbe "réveilIer" soit le concept de "relèvement",
mais jamais le concept de re-viviscence ou de résurrection. Et lorsqu'ils
tentent de nous raconter les rencontres de tel ou telle disciple avec le réveillé
de Pâques, ils ne racontent pas tous la même histoire, dans le même
lieu, au même jour. Ce qui est commun à tous, c'est simplement
ce que Luc met dans la bouche de Pierre au jour de la Pentecôte ; "Hommes
d'Israël, écoutez ces paroles. Jésus le Nazôréen,
cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles,
prodiges et signes qu'il a opérés par lui au milieu de vous, ainsi
que vous le savez vous-mêmes, cet homme qui avait été livré
selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous
l'avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies,
mais Dieu l'a relevé, le délivrant des affres de l'Hadès.
Aussi bien n'était-il pas possible qu'il fût retenu en son pouvoir.
(Actes 2, 23-24).
Voilà ce que croit l'Eglise lorsqu'elle affirme : Je crois en
la résurrection de la chair, le concept de "chair" désignant
chez les Grecs, non pas la matérialité de l'homme, mais sa personnalité.
Voilà ce que je crois qu'il est advenu à Antoine LAGARDE, et qu'il
croyait aussi. Cet homme qui est passé parmi nous et qui nous a tous
marqués... Cet homme qui était la fidélité même...
Cet homme qui fut, comme on disait naguère "bon époux et
bon père"... Cet homme de relations... Cet homme sérieux
mais plein d'humour... Cet homme d'action... Cet homme d'idéal... Cet
homme de convictions qui n'était pas idéologue... Cet homme pour
qui la politique était service des hommes... Cet homme qui s'enorgueillissait
d'avoir réussi à unir, lors de sa présidence de la PEEP,
des personnalités fortes d'horizons différents... Cet homme de
prière, qui puisait la force d'agir dans l'Eucharistie partagée...
Cet homme pétri de l'Evangile qui inspirait toutes ses actions... Cet
homme qui avait une foi d'adulte, c'est-à-dire une foi d'enfant..- Cet
homme qui vivait parmi nous de la vie même de l'être de Dieu, la
vie éternelle... Cet homme qui a traversé les petites morts dont
nos existences sont tissées avec foi et avec espérance... Cet
homme à la charité lucide et efficace... Cet homme qui a envisagé
sa mort avec sérénité, et qui se reconnaissait privilégié
de pouvoir finir sa vie entouré de ceux qu'il aimait... Cet homme, je
ie crois, je l'affirme et je le proclame, il continue à vivre parmi nous.
Dieu l'a déjà relevé d'entre les morts.
C'est pourquoi, de même que Marthe, ayant fait le saut de la foi au Christ
re-suscité à la vie, voyait un vivant dans son frère Lazare,
qui pourtant était mort (Jean 11); je vois de même, et les frères
qui sont ici, confiants dans i'amour de Dieu qui n'a jamais fait défaut
à Antoine LAGARDE, voient en lui, malgré le cercueil qui est devant
nous, un éternel Vivant.
Jean-Paul BOULAND